La place des salariés et de leur travail dans les pratiques des CHSCT


30 ans après leur mise en place, les CHSCT, puis les CSE, participent de plus en plus activement à la prévention, en permettant notamment à une diversité de point de vue de se rencontrer. Toutefois, il apparaît que ces comités sont parfois déconnectés des salariés et de leur travail. Dès lors, les débats au sein de l'instance vont principalement s'appuyer sur la réglementation et son application. Il semble ainsi y avoir une difficulté pour les acteurs d'un CSE à centrer les débats sur ce qui fait la spécificité de cette instance, à savoir le travail et ses conditions de réalisation. Il est néanmoins possible de contribuer à développer la capacité d’action du CSE. Pour cela, nous pensons qu’il est nécessaire d’accompagner les représentants du personnel pour les aider à faire autrement ce qu’ils font déjà, de sorte à replacer le travail et les salariés aux centres de leurs actions. Il s’agit dès lors de contribuer simultanément à développer leur capacité à penser et à débattre du travail des salariés qu’ils représentent.

 

      Des CHSCT parfois isolés

 

Tout d’abord, il apparaît que les salariés et les encadrants ne participent pas toujours aux actions du CSE, et qu’ils sont parfois même mis à l’écart des débats (Poley et Petit, 2014). En cela, les salariés ne sont pas acteurs lors de la définition et/ou de la résolution des problèmes qu’ils rencontrent. Ils sont ainsi perçus comme des sources d’informations, qui renseignent sur leurs contraintes ou leurs souhaits d’améliorations. Il s’agit, d’une certaine façon, d’un syndicalisme pour les salariés, que nous pourrions opposer à un syndicalisme avec les salariés. Il peut dès lors se développer des situations où :

 

« c’est un affrontement syndicat/direction dans lequel les salariés restent spectateurs ! Le quotidien des salariés, le réel de leur travail  restent absents ou sont seulement évoqués sur le mode de la "victimisation". Dans la mesure où elle ne prend pas en compte les difficultés éprouvées par les salariés pour pouvoir faire un bon travail malgré les obstacles qui s’accumulent, l’organisation syndicale n’apparaît pas aux salariés comme un outil leur permettant de faire évoluer leurs situations concrètes au quotidien »  (Gâche, 2012, p. 240)

 

Cela peut contribuer à la mise en place de solutions dans lesquelles les salariés ne se reconnaissent pas et où les encadrants considèrent qu’elles sont inutiles. Isolés, les CSE peuvent construire un diagnostic de la situation qui ne s’appuie que sur leur ressenti et leur expérience personnelle, amenant à des propositions qui ne répondent pas aux préoccupations des salariés et des encadrants. Pour surmonter ces difficultés à s’appuyer sur les situations de travail et les salariés, les représentants du personnel  vont se centrer sur les aspects matériels et réglementaires des conditions de travail (Poley, Petit et Dugué, 2014), puisqu’il est possible ainsi de les aborder dans une approche hygiéniste (Daniellou, 2010) dans laquelle le point de vue des salariés n’est pas nécessaire. Les représentants du personnel abordent ainsi les situations de travail principalement par leurs aspects réglementaires. Comme le relevaient déjà (Teiger et Laville, 1989), cela facilite les relations entre acteurs. Cette approche hygiéniste (Daniellou, 2010) permet ainsi de faciliter la construction d’un cadre commun.

 

Il peut ainsi se développer une définition partagée par ses acteurs du rôle du CSE : celui-ci permet de relever les éléments, souvent matériels, qui vont nuire à la santé des salariés. Ces derniers sont perçus comme passifs dans ce qui leur arrive. Leur point de vue, notamment sur la manière dont ils arbitrent les différentes façons de faire pour tenir une diversité d’objectifs, n’est pas nécessaire pour résoudre les problèmes. Il en résulte un mode de résolution des problèmes qui ne nécessite pas, et ne permet donc pas, de prendre en compte la complexité des situations de travail. Les éléments qui définissent la situation problématique ne sont pas mis en débat et c’est sur la solution que se centreront les échanges.

 

Les représentants du personnel se retrouvent dès lors dans une boucle infernale dans laquelle leurs difficultés en entraînent d’autres. Il y a ainsi une stratégie d’évitement des difficultés rencontrées à améliorer les conditions de travail pour les salariés. Il peut résulter de cette situation des difficultés à penser et agir sur les conditions de travail des salariés, de sorte que les représentants du personnel ne relèvent que les situations sur lesquelles ils savent pouvoir agir (Poley, 2015). D’une certaine façon, traiter les sujets uniquement au sein de l’instance en se centrant uniquement sur la réglementation peut être vu comme une résultante des difficultés qu’ils ont à résoudre certains problèmes. En effet, les sollicitations des salariés sont autant de situations qu’ils doivent améliorer. S’il n’est pas possible de le faire, cela peut être douloureux pour les représentants du personnel. Devant une incapacité d’agir, ils vont développer des défenses individuelles et collectives qui permettent de ne pas percevoir et exprimer la souffrance qui peut résulter de cette incapacité à améliorer la situation (Petit, Dugué et Daniellou, 2011).

 

Par ailleurs, ces difficultés individuelles peuvent contribuer à ce qu’ils développent des défenses permettant de rendre supportables leurs situations de travail (Molinier et Flottes, 2012). Cette impossibilité d’agir pourra les conduire à « simplifier » les situations ou à écarter certains sujets (Poley, 2015). Il peut en résulter un déni de la complexité des situations ou un dénigrement des salariés (Gâche, 2012). La « déconnexion » avec les salariés peut par conséquent être vue comme un moyen de se protéger de retours négatifs de la part des salariés, qui pourraient ainsi mettre en avant les difficultés que rencontrent les représentants du personnel à résoudre les problèmes que les salariés leur demandent de traiter.

 

     Replacer le travail comme objet intermédiaire des débats

 

Replacer les salariés et leur travail au cœur des pratiques des CSE, en leur permettant justement de participer et d’être acteurs dans les actions de l’instance, devient dès lors essentiel, pour justement être en mesure de proposer des pistes d’amélioration des conditions de travail qui répondent aux problématiques locales des acteurs de l’entreprise.

 

Pour cela, il est nécessaire que les représentants du personnel puissent identifier et construire les problèmes différemment d’une approche cause-conséquence. Cela suppose de porter un autre regard sur le travail et la façon de mobiliser les salariés dans l’action syndicale.

Les interventions menées dans diverses entreprises montrent qu’en amenant les représentants du personnel à agir autrement, ils découvrent la richesse de ce qu’ont à dire les salariés. En s’appuyant sur les situations de travail, il est également possible pour eux de gagner en crédibilité et en légitimité auprès des salariés, mais aussi de l’encadrement. De fait, la façon dont ils participent à la résolution des problèmes contribue également à intégrer le CSE et son action de façon différente dans l’établissement.

 

Nous le voyons, la prise en compte des situations de travail permet de penser et d’agir autrement sur les celles-ci. Bien plus, il est possible de mettre en débat autrement ces situations au sein de l’instance. En cela, le travail devient l’objet intermédiaire qui facilite les relations entre représentants du personnel et salariés, mais aussi entre représentants du personnel et encadrants. Dès lors, l’action du CSE devient une aide à celles des acteurs de l’entreprise.

 

Ainsi, la prise en compte du travail doit avant tout être perçue comme un moyen pour les représentants du personnel de tisser des liens avec les acteurs de l’entreprise, de faire du travail l’objet intermédiaire qui permet justement d’articuler une pluralité de points de vue, de mobiles et de buts. Toute la plus-value de l’action du CSE peut justement être dans cette capacité à tisser des liens, à construire une relation de confiance qui passe par la prise en compte du travail de façon à faciliter l’activité de chacun. C’est ce qui peut permettre, pour reprendre les termes utilisés par un secrétaire de CSE, « de faire des compromis, sans compromissions ».

 

BIBLIOGRAPHIE

  • Daniellou, F. (2010). L’ergonome et les gestionnaires des ressources humaines : intervenir pour prévenir les risques du travail. Dans L’ergonome et les gestionnaires des ressources humaines : intervenir pour prévenir les risques du travail. Actes des Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie (pp. 11‑28). Bordeaux : Université de Bordeaux 2.
  • Gâche, F. (2012). Faire du syndicat un outil pour le développement du pouvoir d’agir des salariés. Les leçons d’une recherche-action. Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement, 73(3), 239‑245.
  • Molinier, P. et Flottes, A. (2012). Travail et santé mentale : approches cliniques. Travail et Emploi, 129, 51‑66.
  • Petit, J., Dugué, B. et Daniellou, F. (2011). L’intervention ergonomique sur les risques psychosociaux dans les organisations : enjeux théoriques et méthodologiques. Le travail humain, 74(4), 391.
  • Poley, Y. (2015). Accompagnement ergonomique de l’activité des représentants du personnel des CHSCT. Interventions ergonomiques sur les CHSCT de la SNCF. Université de Bordeaux.
  • Poley, Y. et Petit, J. (2014). « Représenter » le travail et les travailleurs. Le cas d’une mission d’un CHSCT de la SNCF. Dans Diversité des interventions, diversité des populations : quels enjeux, quels défis pour l’ergonomie ? 45e congrès de l’Association Canadienne d’Ergonomie. Montréal.
  • Poley, Y., Petit, J. et Dugué, B. (2014). La place du travail dans les inspections trimestrielles des CHSCT. Dans Ergonomie et Développement pour tous. 49e congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française (p. 9). La Rochelle, France.
  • Teiger, C. et Laville, A. (1989). Expression des travailleurs sur leurs conditions de travail. (Analyse de sessions de formation de délégués C.H.S.C.T. à l’analyse ergonomique du travail). Paris.